Des tsunamis dans le Léman

le lac léman © Keystone/Alessandro Della Bella

La région lémanique a connu plusieurs raz-de-marée au cours des quatre derniers millénaires. C’est le résultat de recherches sur le régime des crues dans le lac Léman et celui de Bienne. Par Pierre-Yves Frei

​Il arrive que les intentions premières d’une étude tombent à l’eau. Les motifs sont divers. Absence de l’objet recherché ou impossibilité de pouvoir le mettre en évidence. C’est ce second cas de figure qui s’est produit dans la recherche poursuivie par Stéphanie Girardclos, au Département des sciences de la Terre et à l’Institut des sciences de l’environnement de l’Université de Genève.

"Nous voulions percer le mystère des crues au cours des derniers millénaires dans les lacs Léman et de Bienne, et explorer le possible lien entre le changement de ces crues avec la canalisation du Rhône et la déviation de l’Aar." Cette recherche s’inscrivait en partie dans la logique de l’établissement des risques naturels basé sur les événements sédimentaires passés.

Mais au final, c’est tout autre chose que la chercheuse genevoise et son équipe ont mis en lumière. En effet, il leur est bientôt apparu que les traces sédimentaires de ces épisodes de crues n’étaient pas toujours suffisamment bien conservées, souvent effacées par le temps, pour espérer les faire témoigner de façon fidèle. Un point négatif assez vite chassé par une découverte majeure.

Vague géante

Doctorante travaillant sous la supervision de Stéphanie Girardclos, Katrina Kremer, qui utilisait notamment la méthode de la sismique réflexion pour cartographier les sédiments du fond du Léman, est parvenue à révéler la présence d’une couche inhabituelle faisant penser à une avalanche sous-lacustre à très grande échelle. "Nous nous sommes dit que cela pouvait correspondre à un événement qui n’existait alors que dans les annales, le Tauredunum, une vague géante qui aurait traversé le Léman en 563 à la suite de l’effondrement d’un pan de montagne dans le delta du Rhône et qui aurait provoqué un énorme glissement de la partie immergée de ce même delta."

Comme si cette découverte ne suffisait pas, l’équipe de Stéphanie Girardclos s’est mise en quête de l’existence d’autres épisodes catastrophiques ayant engendré un tsunami. Elle en a trouvé cinq de plus au cours des derniers 4000 ans. Dont certains dus à des tremblements de terre. L’un d’entre eux s’est produit à l’âge du bronze dans une fourchette allant de 1872 à 1608 avant Jésus-Christ. Or, dans les archives des archéologues, c’est en 1758 que l’on perd la trace de l’occupation de certains bords du Léman par les lacustres. Auraient-ils été anéantis par une vague d’environ 2-6 mètres (estimation) en certains endroits? Auraient-ils fui ces rives, soudainement échaudés par ce lac vengeur? Difficile à dire.

Et quid du lac de Bienne? Est-il aussi sujet aux lames de fond? "Nous les avons cherchées, mais sans succès, avoue Stéphanie Girardclos. Les sédiments du lac de Bienne contiennent trop de gaz produit par la matière organique en décomposition pour que nous puissions utiliser la méthode de la sismique réflexion. C’est très probablement l’une des conséquences de la déviation de l’Aar." Le taux de sédimentation ayant décuplé, tous les équilibres physico-chimiques du lac de Bienne ont été bouleversés.

Si des crues millénaires n’ont pas pu être détectées, ces recherches viennent néanmoins alimenter une science encore balbutiante: l’évaluation des risques naturels liés aux lacs que l’on juge encore trop souvent à tort comme des eaux tranquilles.

Pierre-Yves Frei est journaliste scientifique libre.
(De "Horizons" no 103, Décembre 2014)