Tout en sucre

Des morceaux de sucre. © HandmadePictures, Fotolia

La médecine est-elle sur le point de vivre une petite révolution? Une nouvelle classe de substances, encore peu portée à l’attention du public, est depuis quelques années dans la ligne de mire de la recherche: les glycomimétiques ou analogues de sucres. Par Roland Fischer

​(De "Horizons" no 104, mars 2015)A priori, le terme hydrates de carbone évoque moins la médecine que le bilan énergétique. En réalité, le sucre n’est pas seulement brûlé dans l’organisme humain pour fournir de l’énergie, il joue aussi un rôle important dans de nombreux processus chimiques, notamment dans la communication intercellulaire. La membrane externe des cellules est en effet pourvue de longues molécules de sucre, souvent ramifiées, que l’on appelle oligosaccharides. Ceux-ci fonctionnent comme des clés susceptibles d’ouvrir certaines serrures – les lectines – qui se trouvent à la surface d’autres cellules, ce qui déclenche une réaction donnée. Les hydrates de carbone occupent une place centrale, par exemple dans les réactions inflammatoires.

De par leur fonction centrale dans de nombreux processus cellulaires, les molécules de sucre seraient des candidates idéales pour de nouveaux principes actifs médicamenteux. Il n’y a qu’un problème, explique Beat Ernst, de l’Université de Bâle: "Quand je parle de ma recherche et de mes idées thérapeutiques à des congrès, on me donne toujours la même réponse: les molécules de sucre sont trop différentes des médicaments classiques, on ne peut donc pas s’en servir comme produits thérapeutiques." Et ce pour deux raisons: la première, c’est que les molécules de sucre sont très polaires, et donc incapables de franchir les membranes dans l’organisme. Ce qui signifie qu’elles ne peuvent pas être administrées par voie orale. On peut le faire par voie intraveineuse, mais le corps cherche alors à s’en débarrasser rapidement. Au bout de quelques minutes, une grande partie des molécules administrées est déjà éliminée. L’interaction entre les récepteurs dans le corps humain représente le deuxième problème: dans le cas des molécules de sucre, elle est souvent très faible.

Alors, est-ce juste un cas intéressant, mais sans espoir? En réalité, une petite révolution pharmacologique est en train de se dessiner. De nombreux éléments indiquent qu’à l’avenir les molécules de sucre pourraient bien devenir des substances thérapeutiques. Grâce à sa patience et à son inventivité, le groupe de recherche de Beat Ernst semble avoir résolu les deux problèmes d’un coup. Beat Ernst, en tout cas, est convaincu que la longue attente et la persévérance vont payer ces prochaines années. "La recherche, c’est un peu comme la boxe, explique-t-il quand on l’interroge sur les revers qu’il a essuyés. Il faut savoir encaisser, mais surtout se relever lorsqu’on est à terre."

Une astuce qui a fait ses preuves

Comment les chercheurs ont-ils réussi? Ils ont résolu le problème de l’élimination rapide grâce à une astuce qui a fait ses preuves dans une substance anti-tumorale. Et une optimisation analogue a permis d’améliorer la faible interaction, au point que les premières substances actives ont pu passer dans la phase des tests cliniques.

L’entreprise GlycoMimetics, avec laquelle le groupe de recherche de Beat Ernst travaille depuis dix ans, se fait remarquer en ce moment à la bourse avec son principe actif Rivipansel, breveté par les deux partenaires pour le traitement de la drépanocytose, et avec des études prometteuses pour des traitements contre la leucémie. Par ailleurs, le chercheur bâlois a récemment fondé une entreprise avec deux collègues, dont l’objectif est de mener les analogues de sucres à l’application clinique pour le traitement de maladies auto-immunes. Dans un autre projet, des analogues de sucres ont été développés afin de lutter contre les cystites, à la place des antibiotiques. Pour Beat Ernst, grâce à leur mode d’action complètement différent, les principes actifs à base de sucre devraient présenter des avantages importants par rapport aux antibiotiques en ce qui concerne les problèmes des résistances.

Roland Fischer est journaliste scientifique indépendant.