Les survivants de la mer Morte

Des microbes extrêmophiles ont été retrouvés dans des sédiments d’une salinité extrême situés sous la mer Morte. Ils témoignent des conditions climatiques qui ont régné il y a des dizaines de milliers d’années. Par Anton Vos

(De "Horizons" no 107, décembre 2015)

Enfouis depuis 80 000 ans sous 200 mètres de sédiments d’une salinité extrême mais toujours bien vivants: les microbes découverts grâce à un forage effectué dans les dépôts de la mer Morte sont pour le moins coriaces. Ils pourraient apporter des renseignements sur les conditions climatiques en vigueur au moment de leur déposition. Les travaux ont été réalisés par le doctorant Camille Thomas et dirigés par Daniel Ariztegui, professeur au Département des sciences de la Terre de l’Université de Genève.

"L’étude de la biosphère souterraine – des bactéries ou archaebactéries qui vivent sous la surface terrestre – a débuté dans les années 1990 lorsqu’on a découvert des micro-organismes vivants à 1,5 kilomètre sous les fonds océaniques, explique Daniel Ariztegui. On s’est alors rendu compte que ces microbes piégés dans les sédiments représentent une biomasse énorme, qui pourrait égaler celle de tous les végétaux de surface. Ils jouent potentiellement un rôle très important dans le cycle naturel du carbone et le climat. Il est donc essentiel de mieux connaître leur répartition dans la croûte terrestre."

400 mètres sous la mer

Le projet de la mer Morte a été mis en place sous l’égide de l’International Continental Scientific Drilling Program (ICDP), un consortium international qui soutient des campagnes de forage à but scientifique. Le forage au fond du lac salé, situé entre la Jordanie, Israël et l’Autorité palestinienne, a eu lieu durant l’hiver 2010 – 2011. Il a permis d’extraire une carotte de 450 mètres de long qui couvre quelque 230 000 ans de dépôts.

"Nous avons eu recours au séquençage génétique pour détecter la présence des microbes, explique Daniel Ariztegui. Il s’agit essentiellement d’archaebactéries (des organismes unicellulaires sans noyau semblables aux bactéries, ndlr) qui subsistent en général dans des conditions extrêmes de salinité, de pression ou de température. Celles que nous avons découvertes vivent au ralenti."

Une analyse fine des échantillons prélevés dans la carotte a convaincu le géologue genevois que ces microbes extrêmophiles ne sont pas issus d’une migration ayant eu lieu après la formation des sédiments. Selon lui, les espèces de micro-organismes piégés sont donc représentatives des conditions chimico-physiques qui régnaient dans l’eau du lac au moment de leur capture dans les dépôts – il y a 80 000 années pour les plus anciens. "Il s’agit de résultats très importants", commente Gilbert Camoin, directeur du European Consortium for Ocean Research Drilling, le pendant océanique de l’ICDP. De plus, le fait qu’ils restent actifs durant des millénaires et qu’ils modifient leur milieu pourrait avoir un impact important sur les archives géologiques prélevées au fond des lacs.

Une archive sismique

La carotte de sédiments a également permis de remonter dans l’histoire géologique. Les chercheurs ont pu identifier et dater les traces laissées par les nombreux tremblements de terre qui ont secoué cette région située sur la faille du Levant séparant les plaques arabique et africaine. Les scientifiques ont ainsi pu établir une stratigraphie des séismes et estimer ainsi leur fréquence.

Un autre résultat spectaculaire dévoilé par ce forage de 450 mètres de profondeur est la grande variation du niveau du lac, surtout entre les périodes glaciaires (froides et pluvieuses) et interglaciaires (chaudes et sèches). Selon les chercheurs, la mer Morte se serait même totalement asséchée il y a 120 000 ans – mais cette question reste encore très débattue.

Anton Vos est journaliste scientifique et travaille pour l’Université de Genève.