Tendre l’oreille ou lire sur les lèvres, une question d’oscillations cérébrales

Cette image montre une personne avec des électrodes sur la tête qui regarde un personnage sur un écran d’ordinateur.

Des scientifiques soutenus par le Fonds National Suisse viennent de mettre en évidence que les oscillations cérébrales sont impliquées dans la traitement de la parole: elles déterminent quel canal - auditif ou visuel – le cerveau choisit.

Pour interpréter ce qu’une personne nous dit, nous nous appuyons sur ce que nous entendons mais aussi sur ce que nous voyons en observant les mouvements des lèvres et les expressions du visage. On ignorait jusqu’à présent comment le cerveau décide d’exploiter les indices auditifs ou plutôt les indices visuels. Mais un groupe de recherche financé par le Fonds National Suisse (FNS) vient de montrer que les oscillations des neurones du cerveau sont impliquées dans ce processus. Plus précisément, c’est la phase de ces oscillations, c’est-à-dire la position dans l’oscillation juste avant le moment donné qui détermine quel canal sensoriel va davantage contribuer à la perception de la parole. Les résultats de cette étude, dirigée par le neurologue Pierre Mégevand, de l’Université de Genève, viennent d’être publiés dans le Journal Science Advances (*).

Des illusions audiovisuelles

Pour parvenir à cette conclusion, Piere Mégevand et ses collègues Raphaël Thézé et Anne-Lise Giraud ont eu recours à un dispositif novateur faisant appel à des illusions audiovisuelles. Ils ont placé des volontaires face à un écran sur lequel un personnage virtuel prononçait des phrases pouvant être confondues, comme "Il n’y a rien à boire / Il n’y a rien à voir". Dans certaines des phrases prononcées par le personnage, ils ont effectivement créé un conflit entre ce que les volontaires voyaient et ce qu’ils entendaient. Par exemple, le personnage prononçait un "b" mais ses lèvres formaient un "v". Les volontaires devaient répéter la phrase qu’ils avaient comprise tandis que l’activité électrique de leur cerveau était enregistrée avec des électrodes.

Les scientifiques ont observé que lorsque les informations auditives et visuelles concordaient, les volontaires répétaient la phrase correcte dans la majorité des cas. Par contre, en cas de conflit, les volontaires se fiaient, selon les cas, plutôt à l’indice auditif ou à l’indice visuel. Par exemple, lorsqu’ils entendaient un "v" mais voyaient un "b", la perception était dominée dans environ deux tiers des cas par l’indice auditif. Dans le cas contraire, c’est plutôt l’indice visuel qui guidait la perception.

Le canal sensoriel est déterminé à l’avance

Les chercheurs ont relié ces résultats à l’activité électrique du cerveau. Ils ont observé qu’environ 300 millisecondes avant le moment où il y avait concordance ou conflit entre les informations auditive et visuelle, la phase de l’oscillation cérébrale dans le cortex temporal postérieur et occipital différait entre les volontaires qui avaient suivi l’indice visuel et ceux qui avaient suivi l’indice auditif.

"Nous savons depuis les années 1970 que dans certaines situations, le cerveau semble choisir les indices visuels plutôt qu’auditifs, et encore davantage lorsque le signal auditif est entravé, par exemple en cas de bruit ambiant. Nous pouvons maintenant montrer que les oscillations neuronales sont impliquées dans ce processus. En revanche, leur rôle exact reste encore un mystère", explique Pierre Mégevand.

Localisation précise de l’activité cérébrale

Pour l’expérience, chaque phrase était prononcée tour à tour par six personnages virtuels avec un bruit de fond entravant la compréhension auditive. A la fin de chacune des 240 phrases de l’expérience, les volontaires avaient une seconde pour répéter ce qu’ils avaient compris.

Vingt-cinq volontaires ont initialement participé à l’expérience, mais seulement 15 enregistrements de l’activité cérébrale ont pu être exploités. Pour ce genre d’études, c’est un nombre relativement faible. Mais le scientifique nuance: "Nous avons eu la chance qu’une personne équipée d’électrodes intracrâniennes car souffrant d’épilepsie – ait rejoint l’expérience, ce qui nous a permis d’obtenir des résultats très précis en ce qui concerne la localisation de l’activité cérébrale".

Certains résultats restent toutefois à confirmer. Ainsi, dans l’étude, le lien entre la phase des oscillations et la perception de la parole n’a pu être établi que dans l’hémisphère cérébral droit. Or ces informations sont normalement plutôt réceptionnées dans l’hémisphère gauche.

(*) R. Thézé, A.-L. Giraud, P. Mégevand. The phase of cortical oscillations determines the perceptual fate of visual cues in naturalistic audiovisual speech. Science Advances (2020).https://doi.org/10.1126/sciadv.abc6348External Link Icon

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