Traquer l’atmosphère des exoplanètes

C’est à La Silla, dans les Andes chiliennes, sur le site historique de l’Observatoire européen austral (ESO), qu’Aurélien Wyttenbach, doctorant à l’Université de Genève, mène des recherches de pointe dans la description des "autres mondes" de notre galaxie.

"Regarder le ciel, à l’oeil nu ou au télescope, à l’observatoire de La Silla, au Chili, me fait sourire d’admiration: chaque nuit est un petit accomplissement! Nous observons uniquement de la lumière. Et pourtant, cette source d’information permet aux astrophysiciens d’échafauder les hypothèses les plus surprenantes Il est fou d’imaginer que chaque particule de lumière porte en elle la marque du trajet parcouru, et qu’on est capable de reconstituer celui-ci. Toutes ces explications, délirantes à première vue, qui dévoilent le fonctionnement du cosmos me passionnent depuis l’âge de 8 ans. Ensuite, j’ai fait des études de physique, puis d’astrophysique. Et comme tout comprendre en détail est impossible, ce qui m’intéresse est de mener à terme, en le faisant bien, quelques projets précis.

Mon sujet de thèse concerne un des champs de recherche les plus actuels: l’étude de l’atmosphère d’exoplanètes. Ces planètes tournant autour d’une étoile autre que notre Soleil sont détectées grâce aux variations particulières du spectre lumineux de leur étoile. Or, ces mêmes spectres sont peu utilisés pour voir si certaines de leurs portions – ou raies – peuvent révéler la signature d’éléments chimiques appartenant à l’atmosphère de l’exoplanète. Le succès n’est pas assuré tant l’observation depuis le sol est ardue à cause du rôle perturbateur de l’atmosphère terrestre. Mais cela doit permettre de baliser le chemin pour des études avec le spectrographe du futur, ESPRESSO, qui sera installé ailleurs dans la cordillère, à Paranal.

Je mène mes travaux à l’aide de son prédécesseur, HARPS, situé à l’Observatoire européen austral (ESO), à La Silla. C’est le site historique de l’ESO, abritant nombre de télescopes. Même s’ils sont anciens, les instruments dont ils sont équipés pour observer le ciel sont récents et performants. Il est donc motivant de s’y rendre, durant une à trois semaines.

La Silla héberge le télescope suisse Euler, construit en 1998 par l’Observatoire de Genève, équipé d’un miroir de 1,2 mètre de diamètre. Son maintien montre que, dans la course aux résultats menée à l’aide d’outils de plus en plus gigantesques, il reste possible d’utiliser efficacement des télescopes nationaux. Lorsqu’un astronome se rend là-bas, il doit généralement effectuer des observations pour ses collègues. Le télescope suisse a ceci de particulier que l’on y est seul toute la nuit. Un technicien est à disposition durant la journée mais, dès le soir, en sus du programme scientifique, il s’agit de gérer seul les aspects techniques, le plus crucial étant de préserver l’engin d’une météo pouvant vite changer.

Commander un tel télescope et mener des observations pour d’autres sont des tâches qui impliquent une grande responsabilité, alors que ma thèse vient de débuter. L’utilisation de ces machines était un rêve qui se réalise. La première fois, je me suis senti fier et honoré. Malgré le stress, l’on s’y habitue vite. Pouvoir choisir les objets célestes à traquer apporte un peu de piment.

A La Silla, les nuits sont souvent longues, surtout durant l’hiver austral. Mais je suis occupé derrière mes écrans de contrôle. J’ai vite pris mes habitudes. Et le repas de minuit, comme les balades nocturnes que j’apprécie, rythment ces périodes. Car le cadre est extraordinaire et dépaysant. On se trouve isolé à 2400 mètres d’altitude, au milieu de collines désertiques de différentes couleurs, en fonction des minerais dont elles regorgent, et qui se parent de teintes féériques au crépuscule. C’est à ce moment-là que l’on se réunit parfois, avec tous les astronomes, autour d’une fondue, qui a sa réputation à La Silla. Pour ceux qui y sont habitués, ce repas est attendu, et pour les autres, c’est une réelle découverte. L’occasion aussi, dans une ambiance détendue, de parler d’autres choses.

Mes difficultés sont celles d’un "apprenti chercheur": manque d’idées, d’outils, d’expérience. Au fil du temps et des discussions de couloir avec mes collègues, les problèmes se résolvent. Il faut être tenace et patient pour ne pas se démotiver. Lorsque les choses se mettent en place, il est gratifiant de voir pour la première fois des résultats préliminaires prendre forme. Les publier est un but important pour moi. Et j’aurai peut-être le privilège d’une découverte exceptionnelle. Qui sait?"(De "Horizons" 99, decembre 2013)