Souris, smog et censure

Salaires compétitifs, infrastructures et animaux de laboratoire en quantité: la Chine veut rapatrier ses meilleurs chercheurs. Mais la pollution et le verrouillage d’Internet les font parfois hésiter. Par David Cyranoski

(De "Horizons" no 108 mars 2016)​​​​​​

La Chine a vécu le boom scientifique le plus impressionnant de l'histoire moderne. En vingt ans, le pays s'est hissé du statut de banlieue de la science à celui de deuxième plus grand producteur mondial d'articles scientifiques, qui pourrait même détrôner les Etats-Unis à la première place. Autre signe de cet essor: les articles en provenance de Chine paraissent de plus en plus souvent dans des journaux de premier plan, en particulier dans les domaines de la physique, de la chimie et de la génomique.

Mais les publications ne constituent pas le seul indicateur. L'Empire du Milieu a envoyé une sonde sur la Lune et a récemment lancé un satellite qui pourrait lui donner l'avantage dans la quête pour détecter la matière noire. Il se montre désormais prêt à se battre en première ligne dans la plupart des domaines scientifiques et technologiques.

Cette évolution va de pair avec d'importants efforts gouvernementaux pour récupérer les cerveaux chinois partis à l'étranger. Lancé en 2008, le programme "1000 talents" veut attirer les chercheurs avec des salaires compétitifs et des allocations au logement qui peuvent ensemble largement dépasser les 100 000 dollars. Il comprend aussi de généreux financements de recherche, indique Cong Cao, un spécialiste de la politique de la recherche qui est récemment revenu dans son pays pour travailler à l'Université de Nottingham à Ningbo, à 200 kilomètres au sud de Shanghai.

Yigong Shi, vice-président de l'Université Tsinghua, indique que les salaires pour les très bons chercheurs augmentent rapidement en Chine, même s'ils restent inférieurs à ceux proposés aux Etats-Unis, et que l'équipement est en général meilleur.

Internet verrouillé

Mais cette bataille en matière de recrutement est ardue. Les postes aux Etats-Unis ou en Europe continuent de jouir d'une réputation plus prestigieuse. Durant les premières années du programme "1000 talents", de nombreux scientifiques ont continué à passer la majeure partie de leur temps dans une institution étrangère, considérant leur poste en Chine comme accessoire. Les autorités ont depuis lancé un nouveau programme exigeant des doctorants qu'ils reviennent au pays à plein temps.

L'effort déployé pour attirer les cerveaux formés à l'étranger provoque également des tensions. Elles se manifestent par exemple lorsqu'un jeune scientifique inexpérimenté gagne un salaire dix fois supérieur à celui d'un chef de laboratoire confirmé mais qui a fait toute sa carrière dans le pays.

Et il existe des obstacles supplémentaires dans la course aux cerveaux. Certains scientifiques refusent de rentrer en raison de la qualité de l'air, en particulier à Pékin. D'autres reculent devant les lourdeurs administratives et l'obsession de mesurer les performances de manière quantitative.

De nombreux scientifiques hésitent à venir en raison de l'accès restreint à Internet. Google Scholar, utilisé dans le monde entier pour suivre les dernières découvertes, demeure bloqué en Chine. "Cela affecte surtout les petites universités, car leurs bibliothèques ne sont pas toujours suffisamment fournies", précise Yigong Shi.

Moins de considérations éthiques

Mais l'Empire du Milieu offre aussi une certaine liberté. Les scientifiques ont largement profité de l'absence de mouvements de défense des animaux pour utiliser les nouvelles techniques d'édition des gènes: ils ont notamment produit des mini-cochons et des chiens "super musclés", et travaillent à la création de primates porteurs de certaines maladies, comme l'autisme, à des fins de recherche. Certains scientifiques ont utilisé ces techniques afin de modifier le génome d'un embryon humain, une action hautement polémique.

Cette absence de résistances permet aux scientifiques chinois d'avancer rapidement. Xingxu Huang, rentré en Chine après six ans de post-doctorat aux Etats- Unis et directeur d'une équipe à la ShanghaiTech University, estime que des considérations économiques ont également une influence. Son objectif – manipuler le génome de grands animaux tels que cochons, chèvres et singes – est "plus réalisable en Chine qu'aux Etats-Unis, car ils sont meilleur marché et plus accessibles". Et le gouvernement encourage les initiatives entrepreneuriales.

"Tous ces exemples illustrent ce que les scientifiques peuvent réaliser en Chine, relève Yigong Shi. Qu'il s'agisse de monter un business ou de faire de la recherche avec des cellules souches ou des primates, les chercheurs bénéficient d'une grande latitude."

Mais le chemin est encore long. Lorsqu'on demande à Cong Cao ce qui retient la Chine en matière de recherche, la réponse ne se fait pas attendre: "Le manque de talents reste le plus grand problème."

David Cyranoski est correspondant du magazine Nature pour la région Asie-Pacifique.