Ce que le ventre dit à la tête

La communication entre l'appareil digestif et le cerveau influence notre comportement alimentaire. Mieux connaître les voies empruntées par ces signaux pourrait aider à développer de nouveaux traitements contre l'obésité. Par Stéphane Praz

(De "Horizons" no 110 septembre 2016)​​​​​​

​L'être humain mange parce qu'il a faim, mais pas seulement: aussi par envie, par frustration ou à cause du stress. On sait depuis longtemps que l'appareil digestif et le cerveau contrôlent conjointement notre comportement alimentaire. Comprendre le fonctionnement de ces mécanismes revêt une importance croissante au vu de l'augmentation des cas de surpoids, d'obésité et de diabète de type 2.

Actuellement, les interventions chirurgicales – by-pass gastrique et réduction de la taille de l'estomac (gastrectomie longitudinale ou "sleeve") – sont les méthodes les plus efficaces pour combattre l'obésité. "Etonnamment, ces modifications sont radicalement différentes au niveau anatomique, mais elles modifient toutes totalement et durablement l'équilibre hormonal", explique Ralph Peterli, spécialiste de chirurgie bariatrique à l'Hôpital St. Clara à Bâle. Son équipe a été la première à mettre en évidence ce phénomène dans le cas d'un "sleeve" en 2009.

"C'est là que le cerveau entre en jeu, poursuit le médecin. Il doit forcément être impliqué si les patients, après l'opération, n'ont soudainement plus aucune envie de gras et se resservent au contraire de légumes." Les chercheurs bâlois étudient actuellement les réactions des sujets lorsqu'ils ingèrent différents aliments au moyen de l'imagerie par résonance magnétique fonctionnelle (IRMf).

Manger moins souvent

Mais comment les signaux remontent-ils du ventre à la tête? C'est ce que Wolfgang Langhans, spécialiste de physiologie à l'ETH Zurich, cherche à mettre en évidence. "Cela pourrait déboucher sur des stratégies pharmacologiques et donc des alternatives aux interventions chirurgicales qui présentent certains risques", indique le chercheur. Il étudie notamment le rôle de l'hormone GLP-1 (glucagon-like peptide 1), liée à la satiété. L'intestin en sécrète d'importantes quantités dès qu'il est rempli de nourriture. L'hormone atteint probablement le cerveau par la circulation sanguine, mais Wolfgang Langhans suppose qu'elle envoie aussi des signaux neuronaux en s'amarrant aux récepteurs au GLP-1 du nerf vague qui relie l'intestin et le cerveau.

Les chercheurs ont testé leur hypothèse sur des rats chez qui l'hormone a la même fonction que chez l'être humain. Ils ont injecté dans leur nerf vague des vecteurs viraux (des virus génétiquement modifiés) capables d'inhiber la production de récepteurs au GLP-1 dans les cellules nerveuses de l'intestin. Leur effet: le nombre de récepteurs a diminué de moitié environ.

La réduction de la connexion interneuronale GLP-1 de l'intestin au cerveau a bel et bien entraîné une modification du comportement alimentaire: les rats mangeaient plus longuement et davantage à chaque repas et affichaient ensuite une glycémie nettement plus élevée. La quantité journalière de nourriture ingérée est restée néanmoins la même: ils mangeaient davantage, mais moins souvent.

Chirurgie ou médicaments

"Le résultat peut paraître décevant, reconnaît Wolfgang Langhans. Mais il est physiologiquement fascinant. Il confirme le rôle du GLP-1 et du nerf vague dans la sensation de satiété tout en montrant que le contrôle de la prise alimentaire est sous-tendu par un mécanisme très robuste."

Ralph Peterli en est convaincu lui aussi. Mais c'est précisément ce qui le fait douter d'une alternative pharmacologique à la chirurgie. "La chirurgie n'agit pas seulement sur une ou deux hormones, elle influence simultanément de 50 à 100 mécanismes dont nous ne connaissons pas la plupart." Il imagine toutefois que des préparations hormonales ou certains antagonistes de récepteurs puissent venir en renfort de l'opération. Une application pratique des substances actives se dessine donc. Mais la science est encore très loin d'avoir complètement saisi les interactions complexes entre intestin et cerveau.

Stéphane Praz est journaliste scientifique libre.

J. P. Krieger et al.: Knockdown of GLP-1 Receptors in Vagal Afferents Affects Normal Food Intake and Glycemia. Diabetes (2016)