Quand Lucerne est devenue Venise

(De "Horizons" no 111 décembre 2016)​​​​​​

Plutôt détendue, une famille bourgeoise – des gens du cru ou des touristes – se déplace en gondole sur les quais de Lucerne. En juin 1910, la Reuss et le lac des Quatre-Cantons ont débordé pendant cinq jours. "Comme c'était souvent le cas à l'époque, le cliché est fortement mis en scène", souligne l'historien du climat à l'Université de Berne Christian Rohr. Le chercheur archive d'anciennes photos de catastrophes naturelles, une source importante pour l'histoire environnementale.

La crue a effectivement été vendue telle un épisode particulier, et l'atmosphère dans la ville comparée à celle de Venise. Ainsi qu'on peut le voir, le niveau de l'eau n'est toutefois pas très élevé. Le jeune homme au pull rayé en a jusqu'aux mollets. Et à quelques mètres, on se trouve déjà au sec. Mais alors que certains ont profité de l'événement pour gagner de l'argent, d'autres ont perdu beaucoup: caves et dépôts ont été inondés, les voies d'accès ont été bloquées.

L'image raconte encore une autre histoire. Avec la construction de l'hôtel Schweizerhof dans la deuxième moitié du XIXe siècle, une large bande de terrain a été remblayée pour le quai, là où s'étendaient auparavant le lac et l'embarcadère. Grâce à l'arrivée du chemin de fer, c'est aussi une époque où la ville se développe fortement. "La grande bourgeoisie voulait à la fois vivre près du centre-ville et dans la verdure", relève Christian Rohr.

Ce que les anciennes photographies de catastrophes ne montrent pas est aussi révélateur. "Jusqu'à la Première Guerre mondiale, les personnes tuées lors d'événements extrêmes n'apparaissaient pratiquement pas, par respect", note l'historien. Lors du séisme de San Francisco en 1906, les seuls morts photographiés ont été des pillards abattus.hpa