La science: un conte des Mille et Une Nuits

Par Martin Vetterli

(De "Horizons" no 111 décembre 2016)​​​​​​

Lorsque Shahryar, le roi de Perse du célèbre recueil de contes des Mille et Une Nuits, découvre que sa femme l'a trahi, il la condamne à mort. Pour s'assurer de ne plus être trompé, il décide de faire exécuter chaque matin la jeune vierge qu'il aura épousée la veille. Après avoir fait tuer 1000 femmes, il rencontre la légendaire Shéhérazade, la fille du grand vizir. Pendant leur première nuit, elle lui raconte une histoire mais s'arrête juste avant son dénouement. Souhaitant connaître la fin du récit, Shahryar reporte l'exécution. Mais la deuxième nuit, Shéhérazade commence un autre conte qu'elle interrompt à nouveau avant sa conclusion, ce qui lui sauve une nouvelle fois la vie. Le scénario se répète. Et alors que le roi attend sans cesse de nouveaux épilogues, Shéhérazade trouve un moyen de survivre.

Les Mille et Une Nuits me font penser à un autre grand recueil de contes: la science. La recherche narre aussi une histoire sans fin, celle du savoir, sous la forme d'hypothèses sans cesse renouvelées. Et depuis que nous pouvons les tester de façon empirique, ces "éléments d'histoire" confirment, prolongent ou infirment les précédents.

Nombre de découvertes scientifiques sont aussi fascinantes que les Mille et Une Nuits. Au cours de mes quatre années à la tête du FNS, quelque 400 nouvelles espèces animales ont été découvertes, principalement en Amazonie. Et certaines sont extraordinaires, comme les "poissons qui marchent" ou le bicorne asiatique, qui n'avait encore jamais été photographié. Des recherches sur le corps humain ont découvert une nouvelle forme de ligament dans le genou ainsi qu'un nouveau type de vaisseau lymphatique irrigant le cerveau. La science a aussi remis notre passé en question. Contrairement à ce que l'on croyait jusqu'ici, les plus anciennes peintures rupestres ne sont pas européennes mais indonésiennes. Sans parler de la promiscuité sexuelle des hommes de Néandertal, qui se seraient même accouplés avec des ancêtres de l'homme moderne. Le macrocosme nous a également offert de nombreux contes, le plus fascinant étant probablement celui des exoplanètes. L'incrédulité qui régnait à leur propos il y a quelques décennies a fait place aux premières découvertes des astronomes genevois dans les années 1990. Récemment, la détection d'une planète semblable à la Terre a relancé les anciens rêves de potentielles formes de vie extraterrestre.

La grande histoire que la science nous raconte quotidiennement et que nous pensons si bien connaître est sans cesse reformulée. Et chaque conclusion n'est que le début d'un nouvel épilogue. Cela aura-t-il une fin? Je ne le pense pas. Les récits de la science sont déroulés seulement à moitié, comme ceux de Shéhérazade qui avait étudié la philosophie, les sciences et les arts. Et alors que nous attendons un nouveau dénouement, à l'instar du roi de Perse, nous pourrions finalement trouver, comme la princesse, un moyen de survivre en tant qu'espèce humaine.

A suivre …

Martin Vetterli est président du Conseil national de la recherche jusqu'à fin 2016.