Le stockage informatique réduit à un seul atome

Des scientifiques de l'EPFL et d'ETH Zurich tentent de miniaturiser à l'extrême les supports de l'information. Leurs derniers résultats le montrent: il est possible d'enregistrer une information sur un seul atome. Par Olivier Dessibourg

(De "Horizons" no 113 june 2017)​​​​​​

Où stocker les amas de données numériques générées au quotidien? Les systèmes actuels ne suffiront bientôt plus. La loi de Moore, qui décrit le doublement tous les 18 mois du nombre de transistors sur une puce électronique, commence à être remise en question. "En principe, on peut encore imaginer une vingtaine d'étapes avant d'arriver enfin à la brique ultime de la matière: l'atome. Ce qui prendrait de trente à quarante ans d'ingénierie de miniaturisation", dit Christopher Lutz, physicien chez IBM à Almaden (Etats-Unis). Ce pas final vient d'être franchi, en une seule fois. Un vrai jalon dans un domaine de recherches en pleine expansion.

En 2016, les équipes de Pietro Gambardella à l'ETH Zurich et d'Harald Brune à l'EPFL avaient montré que des atomes d'holmium – un métal du groupe des terres rares – pouvaient manifester sur une surface particulière une certaine "rémanence magnétique". Cette aimantation ouvrait la possibilité d'y enregistrer une information. Restait à faire la démonstration d'écriture et de lecture sur des atomes uniques. C'est ce qu'ont réalisé Christopher Lutz d'IBM et Fabian Natterer, chercheur au sein du groupe d'Harald Brune.

Un atome, un bit

On peut inscrire une donnée sur un atome si l'on est capable d'orienter son aimantation dans un sens ou dans l'autre, comme vers le haut ou le bas. C'est le même principe à l'oeuvre dans les disques durs, qui enregistrent des données codées par des bits (des 0 et des 1). "Nous avons utilisé un microscope à effet tunnel à balayage, ou STM", explique Fabian Natterer. Une infime pointe survolant une surface peut la caractériser avec une précision atomique. Affublé d'un atome de fer, l'apex a fait passer à travers les atomes d'holmium un minuscule courant électrique polarisé. Mais assez fort pour orienter le moment magnétique de ces derniers et y enregistrer un bit. "Et cela de manière pérenne", souligne Christopher Lutz.

La lecture de l'information passe par deux méthodes, poursuit le physicien d'IBM. "La première recourt également à un courant, qui circule plus ou moins bien en fonction de l'état magnétique de l'atome d'holmium, donc de l'information qu'il porte. La seconde méthode permet de ressentir à distance le champ magnétique causé par l'atome d'holmium."

Ces technologies de laboratoire sont complexes, avec de fortes contraintes. "Le tout ne fonctionne qu'à moins de 4°K (–269°C) et dans un ultra-vide", poursuit le chercheur. "Le système est très sensible, car les atomes d'holmium peuvent bouger en surface", ajoute Pietro Gambardella de l'ETH Zurich. Si bien que les physiciens poursuivent également d'autres voies pour imprégner des données sur des entités atomiques.

L'information moléculaire

Une autre approche vise à rendre des molécules aimantées. "Nous utilisons un complexe de dysprosium (Dy), également une terre rare, explique Florian Allouche, chimiste à l'ETH Zurich. Cette molécule ne présente a priori pas d'effet mémoire. Mais si on la greffe sur de la silice et qu'on lui fait subir un traitement chimique afin d'obtenir des atomes de Dy électriquement chargés (ions) et dispersés en superficie, ces derniers présentent une rémanence magnétique à basse température." Les avantages de cette technique? "La simplicité de préparation et de caractérisation, et les possibilités de réplication sur d'autres surfaces." L'inconvénient? "Pour l'heure, le manque d'une structure exacte pour les sites magnétiques."

Tous ces scientifiques en conviennent: les systèmes actuels de stockage ne vont pas être remplacés demain par les mémoires atomiques. "Mais la preuve de principe est là", rétorque Christopher Lutz. Par ailleurs, "cette découverte servira à étudier la matière au niveau atomique, dit Fabian Natterer. Et le contrôle du magnétisme à cette échelle pourrait générer des matériaux exotiques". Pietro Gambardella, lui, voit des applications dans le champ des ordinateurs quantiques. Pour Christopher Lutz, "notre travail consiste à faire un bond aussi grand que possible dans le futur".

Le journaliste scientifique suisse Olivier Dessibourg travaille à Paris.

F. D. Natterer et al.: Reading and writing single-atom magnets. Nature (2017)F. Allouche et al.: Magnetic Memory from Site Isolated Dy(III) on Silica Materials. ACS Central Science (2017)