Optimiser les prairies

La découverte d'un gène ouvre la voie à la sélection artificielle d'herbes hybrides. L'objectif: améliorer la production destinée au bétail. Par Ori Schipper

(De "Horizons" no 109 juin 2016)​​​​​​

Elle a beau être toujours plus verte ailleurs, les gens pensent rarement à la façon dont l'herbe pousse. Pourtant, deux tiers des terres agricoles en Suisse sont constitués de prairies et de pâturages. D'un point de vue économique, la croissance de l'herbe devrait donc être optimisée.

Un cinquième de ces surfaces est formé par ce qu'on appelle des prairies artificielles. Contrairement aux prairies permanentes, elles sont intégrées à la rotation des cultures et régulièrement semées d'herbes fourragères – soit destinées à l'élevage – qui pourraient être améliorées par la sélection. Pour l'instant, les progrès amenés par la sélection des herbes fourragères restent modestes comparés à l'augmentation spectaculaire des rendements de blé, de maïs et de riz qui constitue la "révolution verte".

Les facteurs déterminant les améliorations de rendement devraient être les mêmes pour les céréales et l'herbe fourragère. La sélection hybride joue le rôle principal: on ne sait pas vraiment pourquoi, mais les plantes hybrides poussent nettement mieux que leurs congénères non croisés, ce que la science appelle "l'effet d'hétérosis".

Bruno Studer, professeur boursier FNS à l'Institut des sciences agronomiques d'ETH Zurich, ne peut que spéculer lui aussi sur les raisons de cet effet: issus de parents génétiquement différents, les hybrides présentent un maximum de variantes génétiques. "Cela leur confère une plasticité importante qui leur permet de s'adapter de manière optimale aux différentes conditions environnantes."

Un gène contre la consanguinité

Avec son équipe, Bruno Studer a récemment réalisé un grand pas vers une sélection hybride d'herbes fourragères. Les chercheurs ont découvert un composant important d'un mécanisme biologique qui empêche l'autofécondation, et ainsi les lignées pures qui constituent une étape importante avant les croisements. Ce gène appelé "locus S" assure chez les herbes dites auto-incompatibles que le pollen ne forme pas de tuyau pollinique lorsqu'il se trouve sur le stigmate d'une fleur femelle de la même plante.

La découverte du locus S chez l'ivraie vivace représente un jalon pour la sélection variétale d'herbes fourragères. "Ces connaissance sont indispensables pour concrétiser des concepts de sélection imaginés il y a déjà plusieurs décennies", explique Bruno Studer.

Le chercheur évoque une possibilité: des marqueurs génétiques qui renseignent les sélectionneurs sur les plantes susceptibles de se croiser. "Si nous réussissons à contrôler la pollinisation au sein de populations sélectionnées, nous pourrons exploiter des processus naturels pour augmenter nettement le rendement d'herbes fourragères avec l'effet d'hétérosis, sans prétériter la diversité génétique."

Beat Reidy, expert de la culture fourragère à la Haute école des sciences agronomiques, forestières et alimentaires de Zollikofen, estime lui aussi que ce nouvel élément de connaissance présente un potentiel important. Mais il rappelle que seules les décennies à venir permettront de dire si les progrès attendus peuvent être réalisés.

Ori Schipper est journaliste scientifique à Berne.

C. Manzanares et al.: A Gene Encoding a DUF247 Domain Protein Cosegregates with the S Self-Incompatibility Locus in Perennial Ryegrass. Molecular Biology and Evolution (2015)