Décrypter le code cérébral

Des chercheurs ont relié une rétine de lapin à des milliers d'électrodes. Leur objectif: analyser comment les neurones traitent l'information. Par Martin Angler

(De "Horizons" no 109 juin 2016)​​​​​​

​Le nystagmus est une maladie qui se traduit par des mouvements d'oscillation irréguliers et involontaires du globe oculaire. Environ un homme sur 1500 en souffre: les saccades sont dues à une erreur des neurones de la rétine lorsqu'ils transforment des stimuli visuels en signaux électriques.

Comment le cerveau – auquel appartient la rétine – s'y prend-il pour saisir les informations contenues dans un stimulus? On sait aujourd'hui que les neurones répondent aux stimuli en décochant des salves de signaux électriques qu'ils transmettent aux autres neurones par le biais des synapses. L'information proprement dite réside dans le nombre de décharges électriques et dans les intervalles temporels qui les séparent. Mais les neuroscientifiques ne sont pas encore tombés d'accord pour expliquer comment fonctionnent la lecture et l'écriture de ces codes.

Ecouter le bruit

L'équipe de Felix Franke du Bioengineering Laboratory d'ETH Zurich a réalisé une avancée dans la compréhension de tels processus prenant place dans la rétine. Elle a examiné s'il était plus utile pour le cerveau d'"écouter" tout un ensemble de neurones à la fois ou chaque neurone séparément. Résultat: quand le cerveau écoute tout l'orchestre, il en apprend davantage sur le stimulus déclencheur, par exemple une image vue auparavant.

Les chercheurs ont relié une puce informatique dotée de 11 000 électrodes à une rétine de lapin mise à plat. Ils ont ensuite projeté une ligne claire sur la rétine en la déplaçant. Les électrodes ont enregistré les signaux directement au niveau des cellules visuelles.

Or, souvent, les neurones répondent différemment au même stimulus, ce qui complique les déductions sur le stimulus d'origine. Felix Franke utilise l'image du dé à jouer pour expliquer ce bruit de fond: "Imaginons que le stimulus soit le chiffre trois du dé. Un neurone fournit le chiffre deux et celui d'à côté le chiffre quatre. Pris isolément, ces résultats sont faux. En revanche, si l'on considère la valeur moyenne, le chiffre déduit est correct." L'orchestre est donc plus précis que les neurones individuels.

Un constat que confirme Felipe Gerhard, un neuroscientifique actuellement chercheur à l'Université Brown aux Etats-Unis après avoir effectué un doctorat à l'EPFL. Pour lui, ces expériences avec des rétines de lapin contribuent à mieux comprendre comment s'effectue la reconnaissance visuelle de motifs accompagnés de bruit de fond et fournissent une base solide pour la recherche future sur le code neuronal.

Mais le bruit de fond aléatoire dans le cerveau empêche aussi parfois la communication entre les neurones, souligne Felipe Gerhard: "L'évolution a trouvé des moyens de gérer ce bruit de fond, voire de l'exploiter." Il est particulièrement utile pour la pensée créative.

Prédire les crises d'épilepsie

Felix Franke pense que ces connaissances pourraient être utilisées un jour à des fins thérapeutiques. "En étudiant comment les réseaux neuronaux fonctionnent, on comprend mieux les maladies qui leur sont liées", dit-il. A l'instar du nystagmus. Le chercheur a contribué aux premiers travaux établissant un lien entre le nystagmus de l'oeil humain et une malformation de la rétine chez la souris. C'est la première fois qu'un calcul neuronal a été identifié comme facteur prédisposant à une maladie humaine, souligne le chercheur.

Felipe Gerhard de l'Université Brown imagine aussi des applications dans le domaine thérapeutique. Par exemple pour des prothèses du bras à commande cérébrale capables de renvoyer des signaux dans les réseaux neuronaux du cerveau, reconstruisant ainsi la perception tactile.

Actuellement, Felipe Gerhard travaille avec des patients épileptiques chez lesquels il mesure et analyse l'activité neuronale pendant leurs crises. Là aussi, certains motifs dans le bruit de fond entrent en jeu: "Cela pourrait permettre de prédire les crises d'épilepsie, note-t-il. Dès que la crise survient, nous pourrions essayer de stimuler activement ces neurones et de supprimer le motif pathologique."

Martin Angler est journaliste libre à Bolzano (Italie).

F. Franke et al.: Structures of Neural Correlation and How They Favor Coding. Neuron (2016)