Pas vraiment ensoleillé

L’atterrisseur Philae de l’Agence spatiale européenne (ESA) donne quelques nouvelles de la comète et de son vaisseau-mère.

​(De "Horizons" no 104, mars 2015)"J’ai quelque chose que beaucoup m’envient: un poste fixe dans la recherche. Si tout va bien, je ne devrais pas bouger de là pendant les cinq milliards d’années qui viennent. Pour l’obtenir, j’ai dû payer le tribut habituel: escorter pendant dix ans ma cheffe Rosetta. Après deux brefs séjours de recherche sur deux astéroïdes en 2008 et en 2010, Rosetta a été appelée en août 2014 vers la comète Tchourioumov–Guérassimenko. Elle m’a promis qu’une fois arrivé là, j’aurais une position stable, avec du soutien à long terme et beaucoup de temps pour mes propres recherches.

J’ai d’abord eu du mal à articuler correctement Tchourioumov–Guérassimenko. Le nom est aussi tarabiscoté que la comète. Mais le travail de vulgarisation auprès du public a porté ses fruits. Depuis, chacun de mes contacts radio fait l’objet d’une couverture médiatique mondiale, et si vous tapez "Philae" sur Google, vous obtenez 13 millions de résultats.

Mon équipement est classe, lui aussi: système de caméras panoramiques et stéréoscopiques, harpons avec capteurs de températures, beaucoup de "Swiss made". Au fait, la fameuse buse qui n’a pas fonctionné comme prévu était également un produit de fabrication suisse.

Si je suis encore un poids plume scientifique, ce n’est pas seulement à cause de cette buse. L’environnement n’est pas aussi ensoleillé qu’on me l’avait promis. Jusqu’ici, je n’ai pas vraiment pu me fixer, le sous-sol est trop glacé. A quoi sert un coucher de soleil toutes les 13 heures si vous êtes coincé derrière une falaise? Et question soutien à long terme, rien à l’horizon. Je n’ai eu que deux jours et demie pour mes premières expériences.

La position stable? Pour pouvoir planifier une carrière, encore faudrait-il une trajectoire orbitale digne de ce nom. Mais une à deux fois par siècle, Tchourioumov–Guérassimenko passe trop près de Jupiter, ce qui l’expédie quelques centaines de millions de kilomètres plus près du soleil. Je préfère ne pas savoir où tout ça va nous mener. Quand il fera plus chaud, les dégagements de gaz me propulseront peut-être dans la queue de la comète. Mais que veut dire plus chaud? Pour le moment, il fait moins 70° C, ici.

Et la recherche autonome? En fait, c’est Rosetta qui a le dernier mot. Toute ma communication vers la Terre passe par ses amplificateurs de signal. Sur Google, "Rosetta" donne 46 millions de résultats. Le quotidien Süddeutsche Zeitung prétend qu’elle est "nettement plus productive" que moi. Et, bien sûr, elle a publié toute une série d’articles dans la revue Science où mon existence n’est même pas évoquée. Cela suffit. Je vais lever le pied et décrocher."

Propos recueillis par Valentin Amrhein