Actes sanglants à Boston et à Bâle

Le meurtre de Philip Barton Key. © Library of Congress Prints and Photographs, USA

Les meurtres et les assassinats sont nettement plus fréquents aux Etats-Unis qu’en Europe. Un chercheur suisse a découvert que le phénomène n’est pas nouveau. Il y a deux cents ans déjà, la propension à la violence était bien plus importante à Boston qu’à Bâle. Par Simon Koechlin

(De "Horizons" no 104, mars 2015)

La violence fait partie intégrante de l’histoire de l’humanité. L’un des premiers récits de la Bible est celui de l’assassinat d’Abel par son frère Caïn. Dans l’"Iliade" d’Homère, les Grecs rasent la ville de Troie. Et voilà plus de 5000 ans, dans les Alpes du Tyrol du Sud, un individu abattait un homme d’une flèche dans le dos; sa victime est aujourd’hui connue sous le nom d’"Ötzi".

Mais l’histoire de la violence humaine recèle encore de nombreuses questions sans réponses. "Pendant longtemps, les historiens ne se sont penchés que sur les guerres et ont négligé la violence quotidienne", constate Silvio Raciti, qui a obtenu son doctorat à l’Institut d’histoire de l’Université de Berne. Par ailleurs, les analyses historiques qui distinguent la propension à la violence en fonction des différentes régions du globe sont rares.

Au bénéfice d’une bourse de recherche, Silvio Raciti a comparé le type et la fréquence des actes de violence, notamment des homicides, dans la ville nord-américaine de Boston et dans celle de Bâle, entre 1750 et 1860. Pour ce faire, il s’est surtout appuyé sur les dossiers judiciaires et des articles de presse. Le nombre d’homicides était dans l’ensemble plus élevé à Boston qu’à Bâle. En moyenne, pendant la période étudiée, Boston comptait quelque quatre homicides par an pour 100 000 habitants, et Bâle moins de deux pour 100 000. Aujourd’hui, ce taux est d’environ cinq meurtres par an pour 100 000 aux Etats-Unis et se situe au-dessous de un en Suisse.

"A Boston, la violence était davantage acceptée par la société pour gérer les conflits qu’elle ne l’était à Bâle", analyse le chercheur. Dans la cité rhénane, les agressions étaient commises surtout le week-end et le soir, et impliquaient presque exclusivement des hommes jeunes issus des couches sociales défavorisées. Alors qu’à Boston, les assassinats étaient commis à toute heure du jour et pendant la semaine, également par des hommes âgés et des femmes.

Faiblesse de l’Etat?

Déjà à l’époque, le droit à l’autodéfense était bien plus marqué aux Etats-Unis qu’en Europe. Si l’on parvenait à démontrer que l’on s’était senti menacé, l’homicide restait impuni. Un exemple de 1806 illustre cette réalité. Un long différend opposait deux politiciens. Un matin, l’un deux emporta avec lui son pistolet, partant du principe qu’il y aurait affrontement. En plein Boston, il croisa le fils de son adversaire. Lorsque ce dernier voulut le frapper avec un bâton, le politicien l’abattit. Il fut acquitté par la suite.

Selon l’historien, le fait que les conflits se réglaient plus souvent dans la violence aux Etats-Unis qu’en Europe venait aussi des incertitudes inhérentes au système juridique. Les procédures duraient longtemps et les victimes, notamment, ne pouvaient pas obtenir un dédommagement lors d’une procédure pénale. Les gens se défendaient même souvent contre la police, car celle-ci intervenait surtout en cas de consommation et de vente d’alcool, mais pas contre les actes de violence. On explique couramment le taux d’homicides plus élevé aux Etats-Unis par la faiblesse de l’Etat. Or, ce dernier est tout aussi performant qu’en Europe, "mais les ressources y sont allouées différemment", relève Silvio Raciti.

Simon Koechlin est rédacteur en chef du magazine Tierwelt et journaliste scientifique.