Contre l’antibiorésistance, la pêche aux bactéries
Identifier rapidement certaines bactéries permet d’optimiser les traitements antibiotiques. Avec le soutien du FNS, une équipe de l’Université de Zurich a développé des molécules pour reconnaître et capturer certaines espèces.
La découverte des antibiotiques a révolutionné la médecine au XXe siècle et sauvé de nombreuses vies humaines. Mais l’apparition de bactéries résistantes s’est rapidement imposée comme un nouveau défi. L’une des clés dans la lutte contre ce fléau est l’identification précise des bactéries lors d’une infection. Elle permet d’utiliser des antibiotiques ciblés et efficaces, ce qui réduit les risques d’émergence de nouvelles résistances.
Avec le soutien du Fonds national suisse (FNS), des scientifiques ont développé des molécules pour reconnaître certaines bactéries plus rapidement que jusqu’à maintenant. Leurs recherches viennent d’être publiées dans la revue Communications Biology (*). Elles ouvrent la voie à des méthodes accélérées de diagnostics médicaux, notamment en cas d’infection du sang, mais pas seulement. « Les molécules développées sont déjà utilisées dans un partenariat avec la start-up zurichoise Rqmicro, qui met au point des outils pour la surveillance de la qualité de l’eau », se réjouit Markus Seeger, biochimiste qui a mené cette étude à l’Institut de microbiologie médicale de l’Université de Zurich.
Accélérer la vitesse de certains diagnostics
« Dans la course entre l’évolution bactérienne d’antibiorésistances et le développement de nouveaux antibiotiques, nous n’avons aucune chance, affirme le chercheur. Les bactéries sont en guerre avec des virus depuis plusieurs millions d’années et ont l’habitude d’évoluer pour échapper à de nouveaux dangers. » L’unique solution actuelle est une utilisation minutieuse des antibiotiques. Elle permet d’éviter que les bactéries ne soient confrontées en permanence à des résidus ou traces d’antibiotiques dans leur environnement, pour qu’elles succombent lorsqu’elles y sont exposées pendant les traitements. Cette stratégie nécessite des diagnostics médicaux aussi rapides et précis que possible.
Or, les méthodes d’identification traditionnelles prennent du temps. Elles consistent à prélever les bactéries chez les patient·es puis les faire pousser afin que leur nombre devienne suffisant pour procéder à des analyses détaillées. La phase de croissance dure environ 12 heures pour certaines espèces, parfois plus longtemps pour d’autres. Les analyses ajoutent deux heures supplémentaires.
Markus Seeger et son équipe cherchent à accélérer la procédure : « Notre idée est de repérer plus tôt certaines bactéries, même en faible quantité, en les colorant spécifiquement. Et nous tentons de les capturer directement dans le sang pour pouvoir augmenter leur densité et les analyser plus vite. » Cette approche ne constitue pas un diagnostic exhaustif. Mais elle permet de confirmer ou non la présence de certaines bactéries spécifiques plus rapidement qu’avec les méthodes traditionnelles. Un gain de temps précieux notamment en cas d’infections du sang, où il n’est pas toujours possible d’attendre les un ou deux jours nécessaires à des analyses détaillées.
Son groupe s’est penché sur la reconnaissance de la bactérie Escherichia coli. Cette dernière est souvent impliquée dans les infections urinaires et peut aussi être responsable d’infections du sang. Et c’est une espèce bactérienne chez qui les taux de résistance ont augmenté entre 2004 et 2024 en Suisse, allant jusqu’à quintupler pour certaines classes d’antibiotiques. « Savoir s’il s’agit d’Escherichia coli ou d’autre chose est déjà une très bonne indication pour prendre une première décision quant au traitement à administrer », précise le biochimiste. En l’occurrence, les outils développés par son équipe permettraient de gagner environ six heures sur la douzaine que prennent les diagnostics traditionnels.
Pénétrer la « jungle de sucres »
Pour partir à la pêche à Escherichia coli, Markus Seeger et son équipe ont dû résoudre deux problèmes. D’une part, il fallait trouver le bon appât : un élément spécifique et commun à toutes les bactéries Escherichia coli. D’autre part, le chercheur admet avoir « sous-estimé la complexité de la jungle de sucres qui forment un mur autour des bactéries ». Une jungle si dense que peu de molécules passent au travers.
En guise d’hameçon, les scientifiques ont donc opté pour des anticorps miniatures, appelés nanobodies. Avec leur petite taille, ils peuvent passer sans problèmes entre les branches des sucres. Ils sont aussi plus stables que les anticorps classiques et restent ainsi fonctionnels plus longtemps à température ambiante. Un élément clé pour obtenir des outils de détection stockables et transportables sans devoir se soucier de la chaîne du froid. L’équipe a parcouru une base de données internationale et un autre registre des bactéries détectées en milieu hospitalier en Suisse. En analysant le génome des bactéries de type Escherichia coli recensées, elle a identifié une protéine – OmpA – dont une forme particulière se retrouve exclusivement chez Escherichia coli. Le groupe a ensuite développé des nanobodies capables de reconnaître cette version d’OmpA de façon spécifique et efficace chez plus de 90% des membres de l’espèce. Donc un hameçon qui appâte spécifiquement les bactéries Escherichia coli.
Une solution prête à l’emploi pour colorer les bactéries, mais pas pour les pêcher : « Pour repérer Escherichia coli, cela fonctionne bien. On peut attacher de toutes petites molécules de colorants aux nanobodies sans que cela n’augmente significativement leur taille, explique le chercheur. Par contre, pour la capture des bactéries, nous utilisons des billes magnétiques plus grandes. Elles ne passaient pas à travers la jungle de sucres qui entourent les bactéries. » Les scientifiques ont alors créé une véritable canne à pêche pour leur kit de détection : un fil moléculaire a été mis au point pour relier les nanobodies – le hameçon – aux billes magnétiques bloquées par les sucres – le manche. « On a désormais un outil qui permet de reconnaître Escherichia coli et de le capturer. J’espère réussir à l’implémenter dans les diagnostics cliniques. Nous l’utilisons déjà pour des analyses environnementales », conclut le biochimiste.
Programme national de recherche « La résistance aux antimicrobiens » (PNR 72)
Le problème de la résistance aux antibiotiques est de plus en plus pressant. C’est pour y répondre que le Fonds national suisse de la recherche scientifique (FNS), mandaté en 2015 par le Conseil fédéral, a lancé le Programme national de recherche « La résistance aux antimicrobiens » (PNR 72). Il a été planifié en coordination avec la Stratégie nationale Antibiorésistance (StAR).
Dans le cadre de ce programme, 45 projets ont été menés : 33 dans des universités et hautes écoles suisses, ainsi que de 12 projets internationaux relevant de l’Initiative de programmation conjointe européenne sur la résistance aux antimicrobiens (JPIAMR). Le PNR 72 a disposé d’une enveloppe financière de 20 millions de francs.
Il a rassemblé médecins, vétérinaires, biologistes et expert·es de l’environnement collaborant de manière interdisciplinaire. Ces scientifiques ont exploré de nouvelles approches afin de freiner la propagation des bactéries résistantes aux antibiotiques et d’améliorer les formes de traitement.
- Les projets sur le portail de données du FNS: 177368 (PNR 72), 187170 (BRIDGE), 170625 (Professeur boursier FNS)
- Le projet sur le site du PNR 72